MASON BENEDICT – Presence & penumbrae

Création : 02 octobre 2004, Abbaye de Royaumont, France
Commanditaires : Les Percussions de Strasbourg
Percussions de Strasbourg, Jacques Dudon : disque photosonique, Michel Moglia : orgue à feu
Effectif : 6 percussionnistes, orgue à feu
Durée : 50′

Depuis 1993, j’ai composé une série de pièces spécialement pour des espaces scéniques de grande envergure à travers l’Europe et l’Amérique, Music for Concert Halls, qui explore la relation entre le son et l’espace architectural, où la musique devient une fonction du bâtiment et le bâtiment est incorporé dans le modus operandi compositionnel. L’activité musicale est perçue en trois dimension, en interaction avec le phénomène acoustique de la salle de concert, et s’étendant au-delà de la scène, au-delà de l’auditorium, et dans l’espace sonore. Les travaux sont conçus comme des installations de concert, mis à part que le public prend sa place habituel et que l' »objet » d’art est en direct et acoustique. Il n’y a pas vraiment de site spécifique (dans le sens du terme artistique des années 1960), les pièces peuvent être interprétées dans n’importe quelle salle de concert. Mais ces pièces sont spéciales pour chaque salle de chaque concert, dans le sens où chaque salle choisie mérite d’être utilisée et célébrée pour sa propre idiosyncrasie et sa propre spécificité. La salle est aussi importante que les interprètes et la composition. Ici, dans le magnifique environnement de Royaumont et dans l’extraordinaire Réfectoire, c’est une des rares et excitantes occasions où je peux écrire pour un espace qui n’a pas pour vocation initiale d’être une salle de concert. Presence and Penumbrae est à la fois une installation, une exposition, une performance artistique, une pièce de théâtre et un concert. Je suis reconnaissant aux Percussions de Strasbourg pour leur collaboration et leur enthousiasme dans l’exploration de cet instrumentarium idiosyncrasique d’instruments en dehors de « ma propre culture », d’instruments inhabituels et d’instruments expérimentaux nouvellement inventés et conçus ou proposés par moi à d’autres facteurs d’instruments et inventeurs. Cependant, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Tout instrumentarium est toujours dépendant des lois acoustiques… et économiques. Cependant, les économies m’ont contraint à réduire les matériaux sonores aux plus simples et plus effectifs objets sonores pour explorer le phénomène acoustique le plus pur et le plus basique. Par exemple, la longitude vibrationnelle, les résonateurs de Helmholtz (ou les instruments construits pour être des résonateurs), les longues cordes vibrantes, toutes sortes d’harmoniques, les tubes vibrants, battements, doppler, première réflexion des sons anciens, temps de réverbération, vitesse du son et bien d’autres choses. Il y a aussi beaucoup de subjectivité, mais pour moi, les phénomènes les plus poétiques viennent de ces instruments, comme la présence et le silence. Un son qui est né au-delà du silence peut exister dans l’imagination, ou dans la réalité dans une frontière hésitante entre l’intérieur et l’extérieur du silence imaginé, et le son réel ou imaginé. Le moment où cela cesse d’être imaginé et commence à être identifié comme son est crucial – ouvrant une concentration de l’espace perpétuel en donnant à l’auditeur plus de liberté pour imaginer – pour pénétrer la poésie du son. Ceci dit, la composition doit toujours être l’inspiration initiale plutôt que les instruments eux-même : j’ai toujours approché la composition et la recherche des significations pour réaliser ensuite le résultat acoustique musical perceptible. Il y a bien sûr un devoir en tant que compositeur (un devoir depuis des temps immémoriaux) d’écrire de façon pratique pour des instruments fonctionnant bien, les instruments plus anciens dictant trop de contraintes ou inspirant d’autres considérations musicales par les vertus de leur charme ou de leurs caprices. Je trouve toujours que les choses les plus simples sont les plus difficiles. Les belles choses ne sont pas pleinement accomplies sans effort. Les choses doivent être préparées soigneusement avec attention et patience, en pré-répétition, répétition et représentation. Alors, ombre et lumière, lignes et angles commencent à parler et la musique, également, commence à pouvoir être écoutée, cette musique cachée qui ne peut être entendue. En terme d’instruments du monde, mon intérêt est celui d’un compositeur, mais sans désir d’emprunter et d’entrelacer les croisements culturels. Je suis intéressé par le timbre et l’acoustique pure – la qualité matérielle dénuée de sentiments d’un tube, d’une corde, d’un résonateur et bien d’autres. D’où qu’il provienne, le plus pur effet sera unique. Je pense aussi que mon approche diffère quelque peu de celle de Kagel dans Acustica. Une autre raison pour explorer les instruments traditionnels inhabituels est que, aujourd’hui, nous avons le monde entier à portée de la main, ce qui est ironique puisqu’en même temps, tant de choses semblent être négligemment perdues ou oubliées. Les cultures musicales et leurs instruments extraordinaires varient de façon inimaginable. Leur survie est incertaine et aléatoire – toute chose semblant vouée à un chaos de variables conflictuelles, parfois au caprice d’une inattention globale. Un instrument peut connaître l’extinction, ses praticiens meurent et il est condamné à se décomposer dans une boîte en verre et plus il se décompose, plus il devient « intouchable », condamné par les conservateurs à devenir un artefact, plutôt qu’une chose vivante qui peut être restaurée et ramenée à la vie. À l’autre extrême, si cet instrument a de la « chance », il peut être récupéré par Hollywood et devenir une star du New Age. La pérennité d’un instrument peut être résolue par les copies qu’on en fait. Bien que les méthodes contemporaines des constructeurs du secteur sont rarement documentées consciencieusement avec beaucoup d’exactitude par les ethnomusicologues, elles sont sûrement une part essentielle de l’équation culturelle et une part nécessaire d’un travail, voire d’un devoir ethnologique. Finalement, je suis particulièrement heureux d’accueillir Jacques Dudon et Michel Moglia qui sont devenus des virtuoses des instruments qu’ils ont inventés, démontrant ainsi admirablement combien est grand le champs des instruments et des acoustiques que l’homme peut explorer. Je voudrais remercier Robert Hébrard pour son soutien et son investissement (beaucoup d’instruments ont été conçus par lui), Marie Picard et Danielle Laurent pour leurs instruments d’argiles, Jeff Barbe pour les roseaux et les flûtes-sifflets, le site CRA (Compagnie Roland Auzet) pour le prêt du vibrazwang, Makoto Yabuki (du Bamboo Orchestra) pour le Bowed Boos, Jacques Dudon pour l’idée de la bouteille résonateur, Fred Gramman et The American Church à Paris pour le prêt des cloches à main. Enfin, on peut aussi considérer cette pièce comme un concerto pour régisseurs, un autre rôle de virtuose. Laurent Fournaise et son équipe ont également fait une incroyable représentation !

Benedict Mason traduit de l’anglais par Charles Desservy